Ces politiciens qui nous aiment ¨¤ nous tuer

Photo: Finbarr O'Reilly / Reuters

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Il ne fait pas bon manifester en ces temps de campagne ¨¦lectorale au S¨¦n¨¦gal. En effet depuis la validation de la candidature du pr¨¦sident sortant Abdoulaye Wade contre laquelle l'opposition s'est battue pendant plusieurs mois, il y a eu 6 morts dont un parmi les forces de l'ordre et nul ne sait aujourd'hui s'il y en aura d'autres ou pas. Suite aux manifestations qui ont suivi cette validation et la r¨¦pr¨¦ssion violente de la part de l'¨¦tat, les s¨¦n¨¦galais sont sous le choc et se posent presque tous la m¨ºme question: comment ce pays, longtemps cit¨¦ en exemple pour sa coh¨¦sion sociale, la paix qui y r¨¦gnait, en est arriv¨¦ l¨¤?

Je dis bien "presque tous les s¨¦n¨¦galais" parce qu'au milieu de tout ce drame qui se joue aujourd'hui il y a une classe particuli¨¨re qui elle, a d'autres pr¨¦occupations, se pose d'autres questions, loin des soucis du peuple. Une classe, politique, avec sa cohorte de souteneurs affairistes, obnubil¨¦e uniquement par comment garder le pouvoir acquis pour ceux qui l'ont et pour leurs opposants, comment le conqu¨¦rir ¨¤ n'importe quel prix. On me dira sans doute qu'il en est pratiquement ainsi dans tous les pays du monde mais en Afrique, au S¨¦n¨¦gal, ce combat des hommes politiques est si intense qu'il a fini par ?ter toute ¨¦thique ¨¤ l'activit¨¦ politique et sous nos cieux, les id¨¦ologies, qu'elles soient de gauche ou de droite, s'¨¦pousent, s'adoptent, s'adaptent, changent au gr¨¦ des int¨ºrets de chacun. En une trentaine d'ann¨¦es, des figures politiques avec lesquelles nous avons grandi ont ¨¦t¨¦ socialistes puis lib¨¦raux, un temps communistes puis progressistes avant de retourner ¨¤ leurs amours de jeunesse. Ils muent tant et si bien que depuis plusieurs d¨¦c¨¦nnies le m¨ºme groupe d'individus dirige le S¨¦n¨¦gal et la plupart ne s'oppose au pouvoir du moment que quand elle tombe en disgr?ce aupr¨¨s de l'homme fort en place. Ainsi donc, pour les prochaines pr¨¦sidentielles s¨¦n¨¦galaises, sur 14 candidats, on en compte 9 qui ont servi plusieurs gouvernements, sont sortis de leur parti d'origine pour en rejoindre un autre ou cr¨¦¨¦r le leur. Cette transhumance des hommes politiques (qui ne choque plus d'ailleurs) ou les alliances opportunistes entre certains d'entre eux ont sans doute ¨¦t¨¦ la cause principale du manque d'int¨ºret que les s¨¦n¨¦galais (particuli¨¨rement les jeunes) ont longtemps manifest¨¦ envers la politique.

En 2012 cependant, cet ¨¦veil d'une conscience politique populaire qui avait servi ¨¤ faire se passer la premi¨¨re alternance de l'histoire du pays en 2000 est ¨¤ nouveau l¨¤ suscit¨¦ qu'il a ¨¦t¨¦ en partie par la gestion chaotique du PDS ( parti de Wade) ces douze derni¨¨res ann¨¦es (il y a eu beaucoup de scandales politico-financiers en plus du niveau de vie qui a consid¨¦rablement baiss¨¦) mais aussi par les intentions pr¨ºt¨¦es au pr¨¦sident Wade de vouloir l¨¦guer le pouvoir ¨¤ son fils Karim. Ce dernier point tout particuli¨¨rement a revigor¨¦ la soci¨¦t¨¦ civile, en premi¨¨re ligne de laquelle se trouve le mouvement Y En A Marre compos¨¦ ¨¦ssentiellement d'artistes hip-hop. De ce fait, depuis l'ann¨¦e derni¨¨re, la rivalit¨¦ n'est plus seulement m¨¦diatique mais se fait sur le terrain ¨¤ coups de manifestations, de contre-manifestations et la mobilisation est des deux bords. Depuis un an maintenant, les diff¨¦rents partis ont incit¨¦ les populations ¨¤ s'inscrire sur les listes ¨¦lectorales et ¨¤ s'int¨¦r¨¦sser et comprendre quels sont les enjeux du prochain vote.

Photo: Cheikh Fall (@cypher007)

Le peuple quant ¨¤ lui, objet de toutes les convoitises, est d¨¦plac¨¦ dans des meetings pour 5000CFA (moins de 10euros), un sandwich ou un bout de tissu ¨¤ l'¨¦ffigie d'un candidat ou parti et ne s'offusque point de ne pas conna?tre les diff¨¦rents programmes propos¨¦s. Le peuple, se fait tirer ou rouler dessus (2 des morts des manifestations du 31 Janvier l'ont ¨¦t¨¦ sous les pneus des voitures de police) pendant que les leaders de partis se barricadent dans leurs voitures entour¨¦es de gardes du corps qui leur frayent un passage loin du chaos, des grenades lacrymog¨¨nes et des balles qui sifflent. Le peuple, celui contestataire en tout cas, a fini par ne plus savoir pour quel leader de l'opposition voter parce que quand il demandait le consensus autour d'une candidature unique de l'opposition pour faire face ¨¤ Wade, ils ont fait passer leurs ambitions personnelles et leur ¨¦go devant l'int¨ºret de 12 millions de s¨¦n¨¦galais.

Aujourd'hui, la raison principale qui nous avait fait h¨¦riter de Wade en 2000 risque d'¨¦lire le prochain pr¨¦sident du S¨¦n¨¦gal si jamais il sort de l'opposition: le vote par d¨¦faut. Mais dans tous les cas, le peuple sait qu'il ne fait plus confiance aux politiciens parce que des derniers remous au S¨¦n¨¦gal il aura au moins compris ceci: malgr¨¦ l'amour du S¨¦n¨¦gal et des s¨¦n¨¦galais qu'ils pr?nent, les politiciens envoient la police lui tirer dessus ou alors ils le mettent devant pour qu'il se fasse tuer.

Photo: Cheikh Fall (@cypher007)

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