Centrafrique: la l¨¦gitimit¨¦ au bout des canons
Autor invitado: Bernab¨¦ Sedoufio (*)
Depuis l¡¯ascension ¨¤ l¡¯ind¨¦pendance des pays africains francophones dans les ann¨¦es 60, nous avons assist¨¦ ¨¤ une multiplication de coup d¡¯¨¦tat parfois orchestr¨¦s par l¡¯ancienne puissance colonisatrice, la France. Mais ¨¤ partir des d¨¦cennies de 90, le vent de la d¨¦mocratie commence ¨¤ souffler dans la plupart des pays africains o¨´ les peuples r¨¦clamaient une meilleure condition de vie. Nous ne pouvons non plus passer sous silence la r¨¦pression qui s¡¯en est suivie dans de beaucoup de pays comme le Togo, la C?te d¡¯Ivoire, le Cameroun, le Gabon, le S¨¦n¨¦gal, la B¨¦nin, la RDC, le Madagascar etc.
Malgr¨¦ la r¨¦pression aveugle, la d¨¦mocratie s¡¯est install¨¦e tant bien que mal dans certains pays comme le B¨¦nin, le S¨¦n¨¦gal, le Mali etc. avec l¡¯application du multipartisme, la libert¨¦ d¡¯expression ; bref, nous assistions lentement mais s?rement ¨¤ l¡¯¨¦dification de l¡¯¨¦tat de droit. Cependant, nous ne voulons pas donner un satisfecit ¨¤ ces pays, puisque les institutions d¨¦mocratiques ne sont pas encore consolid¨¦es, malgr¨¦ l¡¯avanc¨¦e du processus d¨¦mocratique. La faillite actuelle de l¡¯Etat malien nous donne raison puisque la classe politique malienne a failli ¨¤ son devoir, celui d¡¯?uvrer pour le bien¨ºtre du peuple malien. Ce qui nous am¨¨ne d¡¯ailleurs ¨¤ dire qu¡¯au jour d¡¯aujourd¡¯hui il n¡¯existe pas en Afrique francophone un mod¨¨le de d¨¦mocratie, m¨ºme si certains pourront nous critiquer sur un r¨¦quisitoire si s¨¦v¨¨re concernant l¡¯¨¦tat d¡¯avancement du processus d¨¦mocratique en Afrique.
Michel Djotodia. Foto Alain Amontchi/Reuters
Notre objectif n¡¯est pas de centrer sur la probl¨¦matique de l¡¯alternance politique, mais plut?t de la l¨¦gitimit¨¦ des mouvements rebelles qui se prolif¨¨rent en Afrique depuis quelques ann¨¦es. Nous nous sommes pench¨¦s sur le cas de la C?te d¡¯Ivoire, la Libye surtout la Centrafrique.
En effet, apr¨¨s l¡¯arriv¨¦e au pouvoir des pr¨¦sidents autrefois rebelles en RDC, au Burundi, au Rwanda et autres civils comme l¡¯actuel pr¨¦sident ivoirien, Alassane Ouattara apr¨¨s une consultation ¨¦lectorale tr¨¨s mouvement¨¦e ; c¡¯¨¦tait le tour de l¡¯ancien pr¨¦sident centrafricain Fran?ois Boziz¨¦ qui prenait les armes le 15 Mars 2003, gr?ce au soutien militaire de son voisin le Tchad et surtout la complicit¨¦ de Paris pour renverser le pouvoir du d¨¦funt pr¨¦sident F¨¦lix Patass¨¦ ¨¦lu d¨¦mocratiquement. M¨ºme si le processus ¨¦lectoral ¨¦tait ¨¦maill¨¦ de grave irr¨¦gularit¨¦, rien ne justifiait la prise du pouvoir par des moyens ill¨¦gaux.
Suite ¨¤ son coup d¡¯¨¦tat militaire, l¡¯ancien g¨¦n¨¦ral pr¨¦sident instaura un r¨¦gime d¡¯exception jusqu¡¯¨¤ la c¨¦l¨¦bration de nouvelles ¨¦lections en 2005 ¨¤ l¡¯issue desquelles il restaure son pouvoir sur l¡¯ensemble du pays. Il entreprit d¨¨s lors la chasse ¨¤ ses anciens camarades ou alli¨¦s qui l¡¯ont aid¨¦ ¨¤ prendre le pouvoir en 2003. Il fut r¨¦¨¦lu en 2011 au terme d¡¯un scrutin critiqu¨¦ par l¡¯ensemble de la classe politique centrafricaine.
Il faut rappeler que le r¨¦gime Boziz¨¦ ¨¦tait caract¨¦ris¨¦ par l¡¯absence d¡¯un espace de dialogue permanent, la brutalit¨¦ polici¨¨re, le mus¨¨lement de l¡¯opposition, bref, il a constitu¨¦ un appareil r¨¦pressif contre une partie de la population qui aspire ¨¤ un lendemain meilleur. En fait, la pratique de la corruption, la dilapidation de fonds public, et l¡¯enrichissement personnel de l¡¯entourage personnel de l¡¯ancien pr¨¦sident centrafricain faisait craindre le pire, quand on sait depuis l¡¯ind¨¦pendance de ce pays africain, la bonne gouvernance a toujours fait d¨¦faut, malgr¨¦ la richesse mini¨¨re du pays.
Le pays vivait dans une ins¨¦curit¨¦ g¨¦n¨¦ralis¨¦e avec la multiplication de mouvements arm¨¦s op¨¦rant hors de la capitale Bangui. Cette situation analogue ¨¤ la plupart des pays francophones africains nous donne raison de penser que l¡¯absence d¡¯un v¨¦ritable ¨¦tat de droit permet l¡¯instauration d¡¯un r¨¦gime personnalis¨¦ lequel exclut une bonne partie des fils d¡¯une nation. C¡¯est d¡¯ailleurs, le lieu de rappeler que l¡¯absence d¡¯un d¨¦bat politique et sinc¨¨re avec toutes les composantes d¡¯une nation peut conduire ¨¤ la cr¨¦ation d¡¯une r¨¦bellion arm¨¦e qui peut op¨¦rer ¨¤ partir d¡¯un pays voisin.
C¡¯est le cas de la Centrafrique o¨´ la r¨¦bellion b¨¦n¨¦ficie du soutien implicite des autorit¨¦s de Khartoum et peut -¨ºtre de N¡¯Djamena, puisqu¡¯ils sont partis de leur base arri¨¨re situ¨¦e dans le territoire soudanais ou tchadien. Par ailleurs, le d¨¦laissement des populations du nord et de l¡¯Est par les autorit¨¦s de Bangui faisait pr¨¦sager le soul¨¨vement de cette partie de la Centrafrique qui se sentait plus soudanaise que centrafricaine. Mais rien n¡¯y fait pour am¨¦liorer la redistribution de la richesse du pays.
En effet, le 10 d¨¦cembre 2012 divers groupes arm¨¦s coalisent leur effort pour cr¨¦er une coalition de groupes arm¨¦s appel¨¦e le S¨¦l¨¦ka. La coalition d¨¦clenche une offensive g¨¦n¨¦ralis¨¦e contre les positions des forces gouvernementales occupant ainsi des villes. Face ¨¤ l¡¯avanc¨¦e spectaculaire des rebelles centrafricains, des pourparlers sont engag¨¦s entre Bangui et les repr¨¦sentants de la S¨¦l¨¦ka ¨¤ Libreville au Gabon. Apr¨¨s quelques jours de discussion, le dialogue accouche d¡¯un accord entre les deux parties le 11 Janvier 2013. Arguant du non respect de l¡¯accord de Libreville, le S¨¦l¨¦ka lance une autre offensive militaire, apr¨¨s un ultimatum de 72 jours sommant l¡¯ancien pr¨¦sident de revenir ¨¤ de meilleurs sentiments.
La progression de la r¨¦bellion centrafricaine a ¨¦t¨¦ spectaculaire, malgr¨¦ la pr¨¦sence des troupes de la Force Multinationale d¡¯Afrique Centrale(FMAC) appuy¨¦es par quelque centaine militaire sud-africaine qui faisaient office de gardes rapproch¨¦es ¨¤ Boziz¨¦, puisqu¡¯il fustigeait sa propre arm¨¦e pour son inaction voire sa complicit¨¦ avec l¡¯ennemi. Apr¨¨s quelques jours d¡¯offensif ¨¦clair, la r¨¦bellion entre ¨¤ Bangui le 23 Mars 2013 sans rencontrer de r¨¦sistance. Il faut souligner que l¡¯ancienne puissance colonisatrice n¡¯a pas daign¨¦ venir en aide au pays ? ami ?, malgr¨¦ les accords de d¨¦fense qui lient les deux pays.
Officiellement Paris ne veut pas s¡¯ing¨¦rer dans les affaires int¨¦rieures d¡¯un pays ind¨¦pendant et souverain, mais compte tenu de ses int¨¦r¨ºts ¨¦conomiques et le m¨¦pris envers l¡¯ancien pr¨¦sident, Paris aurait agi autrement en soutenant tacitement le S¨¦l¨¦ka avec une certaine garantie, c'est-¨¤-dire le respect des contrats, la s¨¦curit¨¦ des ressortissants ¨¦trangers etc. Un autre fait tr¨¨s troublant, Paris n¡¯a pas condamn¨¦ le coup d¡¯¨¦tat perp¨¦tr¨¦ par le S¨¦l¨¦ka au lendemain de son entr¨¦e ¨¤ Bangui. Il a simplement confirm¨¦ le d¨¦part de Boziz¨¦ vers un pays voisin et appel¨¦ ¨¤ la retenue, m¨ºme son de cloche du c?t¨¦ de Washington.
Il faut rappeler que cette coalition est compos¨¦e d¡¯¨¦l¨¦ments h¨¦t¨¦roclites. Ce qui veut dire que beaucoup de choses restent ¨¤ faire surtout le partage du pouvoir, m¨ºme si son repr¨¦sentant en Europe Eric Massi affirme que le groupe est bien structur¨¦ de part sa composition politico-militaire. Une chose est s?re, c¡¯est que le pays n¡¯est pas encore au bout de ses peines, puisque d¡¯autres acteurs surgiront pour demander l¡¯ouverture d¡¯un dialogue franc en vue de remettre le pays sur le chemin de la d¨¦mocratie.
Aux derni¨¨res nouvelles, le pseudo chef de la coalition du S¨¦l¨¦ka, Michel Djotodia s¡¯est autoproclam¨¦ pr¨¦sident de la R¨¦publique centrafricaine au m¨¦pris des textes constitutionnels moribonds de l¡¯?tat centrafricain. Il annonce sans consultation avec la classe politique, ni les confessions religieuses, la soci¨¦t¨¦ civile une transition politique de trois ans. Un fait encore grave, il suspend la Constitution, le gouvernement tout en promettant de reconduire le Primer Ministre issu des Accords de Libreville.
Tous ces ¨¦l¨¦ments laissent pr¨¦sager l¡¯installation d¡¯une ? R¨¦publique de Boziz¨¦ sans Boziz¨¦ ?. Reste ¨¤ savoir maintenant comment r¨¦agiront les pays voisins, les institutions sous-r¨¦gionales telles que la commission de l¡¯Union Africaine, la Communaut¨¦ Economique des Etats d¡¯Afrique Centrale et les pays ¨¦trangers. Il ne faut pas se leurrer beaucoup, car la chute du r¨¦gime autoritaire de Fran?ois Boziz¨¦ ¨¦tait pr¨¦visible, compte tenu de l¡¯acc¨¦l¨¦ration des derniers ¨¦v¨¦nements surtout l¡¯ent¨ºtement du g¨¦n¨¦ral pr¨¦sident d¡¯entreprendre de s¨¦rieuses reformes institutionnelles et constitutionnelles.
Quant ¨¤ la Commission de l¡¯Union Africaine, malgr¨¦, sa r¨¦action timide en annon?ant la suspension du pays de toutes les activit¨¦s de la Commission et le gel des avoirs des principaux responsables du S¨¦l¨¦ka, rien ne garantie l¡¯efficacit¨¦ de ces sanctions, quand on sait que le m¨¦canisme de contr?le dont dispose la Commission s¡¯av¨¨re peu efficace face au manque de fonctionnement de l¡¯Organisation panafricaine.
En fin, pour notre part, il est inadmissible qu¡¯on accepte en Afrique aussi bien des autocrates qui s¡¯accrochent au pouvoir contre la volont¨¦ de leur peuple, que des groupes rebelles qui prennent des armes pour arriver au pouvoir. Ainsi, apr¨¨s les rebelles ivoiriens, libyens et autres, c¡¯est le tour du S¨¦l¨¦ka en Centrafrique. Il est donc temps que les africains laissent de c?t¨¦ la voie des armes et entreprennent un vrai dialogue pour la construction d¡¯un ¨¦tat de droit.
(*) Bernab¨¦ SEDOUFIO, naci¨®n en 1977 en Lom¨¦, capital de TOGO. Se afinc¨® en Granada (Espa?a) en 2002. Es autor de la pagina web www.afriquegeopolitique.com en franc¨¦s, desde donde intenta trasladar otra forma de entender la pol¨ªtica africana.
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